Carine Russo et la justice inachevée
Dans ce livre aussi émouvant que décapant, une intellectuelle au sens le plus justifié – quelqu’un qui, depuis son expérience singulière, rencontre et exprime un enjeu de société, ce dont Gino et Carine Russo avaient déjà témoigné précédemment – montre que tout ce que l'exigence mesurée de justice des parents, la Marche Blanche et la Commission d'enquête auraient dû entraîner n'a pour l'essentiel pas eu lieu, par exemple :
– le procès (« procès-bidon ») a laissé dans l'ombre les pistes financières (par l’Inspection spéciale des impôts) qui, entre autres, auraient empêché la BANALISATION par la seule fiction du « couple infernal »;
– l'enquête et le procès ont abandonné la recherche des va-et-vient de Julie et Mélissa qui n'ont pu rester trois mois enfermées en hiver dans une citerne sans aération, sans nourriture et sans eau, avant de mourir ;
– aucune protection des institutions ne justifie l'impuissance de l'État face à la criminalité (et le lien entre les « dysfonctionnements » de la police et de la justice et des « protections éventuelles » – dixit la Commission d’enquête) ainsi que l'écho complaisant de la presse à cet abandon ;
– la « morgue des élites », y compris le silence des intellectuels, néglige le TRAUMATISME des victimes et de leurs proches, jusque dans la libération inconsidérée de la triple récidiviste, M.M., ce que la loi ne permet pas...Ce dernier point renvoie à l'importance de l'émotion, élément essentiel dans le rapport aux victimes et moteur de progrès rationnel : « N'est-ce pas l'émotion, demande Carine Russo, qui nous a incités à refuser ces plaies sociales que sont le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie ? ». Et elle rappelle aussi que « En cette fin de XXe siècle, un enfant sur quatre dans le monde était touché par la famine, la guerre, l'enrôlement de force dans les conflits armés, le travail dans les mines ou l'exploitation sexuelle. »
Carine RUSSO, Quatorze mois, Bruxelles, 2016, La Renaissance du livre.