Généralités catastrophistes vs. traits distinctifs (Virus et philosophie - III)
La crise sanitaire et le temps qu’elle a laissé stimule les prises de position par blogs ou cartes blanches et aussi facebookées ou twitées. Quelles que soient leurs différences, entre réflexions et irréflexions, leur arrière-fond apparaît le plus souvent le même : catastrophiste.
En particulier, le virus philosophique le plus banal (pas besoin de le qualifier de « métaphysique » et d’appeler à le « déconstruire ») a sévi : la généralisation abusive – si l’expression n’est pas une tautologie. Bien entendu, la réflexion implique de prendre du recul, une distance propice à la critique, de mettre en perspective, d’ouvrir dans le temps une situation présente et inédite, voire de proposer du sens, mais généraliser un trait le plus souvent factuel en lui attribuant une signification absolue, via la rumeur et la peur, voilà le travers qui nous guette dans notre saine envie d’y voir un peu plus clair.
S’il n’y a pas qu’un trait qui permette de quelque peu distinguer ce qui se passe dans la crise sanitaire, lesquels (m’)apparaissent à premières vues ?
Le premier trait est bio-sanitaire. Le virus Covid-19 a frappé de façon surprenante et a entraîné une double réaction : de non-savoir multiple (« la science » ne connaissait pas sa structure, son développement et les moyens de le guérir, du traitement immédiat au vaccin) et de réactions salutaires (les prises en charge hospitalières ont mis à jour des moyens médicaux de plus en plus efficaces pour contrer la maladie et les mesures de prudence, de protection et de confinement ont freiné avec succès l’expansion de la pandémie). Même si les chiffres, avancés hors contexte détaillé, doivent n’être vus qu’à titre provisoire, la comparaison entre les plusieurs dizaines de millions de morts de la grippe espagnole après 1918 et les quelques centaines de milliers de la grippe par coronavirus donne une indication qui évite toute dérive : l’hécatombe a été évitée (et aucun complot n’a eu lieu et, s’il avait eu lieu, il aurait donc échoué). Grâce au dévouement des soignants, à l’application consciencieuse des mesures par les populations et à leur compréhension des limites et des ressources des connaissances et des techniques scientifiques, la lutte contre la pandémie rencontre une première réussite. La preuve est faite de la maturité vigilante et compréhensive de la population, dans son ensemble ou presque. Sans doute, rien n’est définitif, la crainte d’une seconde vague est justifiée par les expériences passées d’autres épidémies, mais il est probable que, le cas échéant, nous sommes mieux préparés à la contrer.
Le deuxième trait est économique. Les généralisations catastrophistes y sont les plus flagrantes. Le « système » (capitaliste, financier, de marché mondial…) s’est-il écroulé ? La production s’est-elle définitivement arrêtée ? Et la consommation, y compris le « désir » de consommer ? D’une part, la production a été fortement et temporairement ralentie, mais sans être le moins du monde détruite (la différence avec l’après-guerre mondiale est patente : il ne faut reconstruire aucune grande industrie ou agro-industrie) et, outre les aides d’urgence, les plans de relance des États nationaux et de l’Europe sont impressionnants. La consommation a certes été stoppée durant deux mois, sauf pour l’alimentation, une exception qui mérite d’être soulignée puisqu'aucune pénurie importante, sauf celle des masques et des tests ou de certains instruments médicaux, encore moins aucune famine ne sont à déplorer dans les pays développés… D’autre part, dans les autres pays, les choses ne sont pas encore suffisamment appréhendées, même si l’Afrique a été relativement épargnée par la pandémie, pour distinguer ce qui relève des problèmes du sous-développement et ce qui résulte du virus. D’autre part encore, les faillites (surtout des petites entreprises, magasins et restaurants en grand nombre, lieux culturels en totalité) et la recrudescence du chômage se dressent devant nous, malgré les aides ponctuelles pour les éviter. L’enjeu des relances économiques est précisément là, sur fond d’un système mondial dont la pandémie n’aura pas menacé l’existence, même si des corrections partielles, dont la relocalisation de certaines entreprises d’utilité publique, s’avèrent nécessaires.
Le troisième trait est-il écologique ? Le lien entre la crise sanitaire et la crise écologique, n’en déplaise aux généralisateurs, n’est pas évident. Sous réserve d’études historiques précises, les épidémies du passé ne le montrent pas. Est-ce différent à notre époque ? La mondialisation et les échanges incessants accélèrent de toute évidence la propagation épidémique : l’usage du mot pandémie n’est pas fortuit. Mais quel lien cela a-t-il avec la dégradation climatique et les atteintes à la biodiversité ? Sans l’exclure, il faudra l’examiner de près et l’indiquer. Faute de quoi, il est à craindre qu’aucune mesure écologique de grande ampleur (hors des interdictions de consommation comme celle de tel ou tel animal) ne sera prise. Pour le coup, une future catastrophe écologique, immédiate et massive, sera-t-elle seule à montrer l’urgence d’une mutation ?
Le quatrième trait est politique et administratif. Que le non-savoir fasse partie du processus de la connaissance scientifique est désormais plus largement compris et accepté. Mais l’impotence bureaucratique et néolibérale (de privatisation en tout domaine et donc de diminution de la puissance publique) des Etats et de leurs gouvernements l’est beaucoup moins. L’impréparation et surtout l’inconséquence face aux mesures de précaution par les ministères concernés ont éclaté aux yeux de tous : par le manque de personnel et d’aide financière dans les hôpitaux et plus encore dans les maisons de retraite, par la destruction passée de millions de masques périmés et non renouvelés, par les manigances intéressées pour pallier ce manque de masques comme de tests, sous motif et sous prétexte de contrôle scientifique laissant le soupçon de favoriser telle firme au détriment des laboratoires… Faut-il souligner que seuls les tests sont à même d’arrêter l’expansion du virus par le traçage ? Les hésitations à diffuser les tests sérologiques par crainte d’un comportement irresponsable des contrôlés est aussi méprisante à leur égard que révélatrices de la tentation autoritariste que la crise accentue… Par ailleurs, les pertes d’emploi, temporaires ou définitives, économiques et culturelles (d’artistes, d’écrivains, de sportifs…) ont nécessité et nécessitent des aides de l’Etat aussi dispersées qu’insuffisantes, une carence qui remet à l’avant-plan s’il le fallait la solution du revenu universel… Bref, qui ne voit que seule une réinstitution démocratique, à tous les échelons des pouvoirs mais aussi de la vie sociale, s’impose face à ces carences de la gestion, de la prévision, de la préparation et de l’initiative de l’action politique ?
Pour le dire tout net, la réforme constitutionnelle des institutions est à l’ordre du jour de nos pouvoirs législatifs et exécutifs, sous contrôle du judiciaire. Les exemples étrangers comme le système fédéral allemand ou les contre-exemples comme le système centraliste français, parmi d’autres, sont à prendre en compte. Mais ils ne suffiront pas, pas plus faut-il le dire que le confédéralisme intéressé de la NVA en Belgique, à trouver des solutions financières, à initier de nouvelles modalités de consultation et de législation et à apaiser des parties de population tentées par le repli identitaire…Un premier aperçu des traits distinctifs de la crise sanitaire le confirme : une réinstitution démocratique, à tous les échelons de la société, s’impose face aux intérêts exclusivement économiques, aux gestions bureaucratiques sans vision et donc sans action, aux fausses solutions nationalo-régionalistes, populistes et finalement autoritaires.