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Immigration et démocratie


Le fantasme du "grand remplacement" ne se dissout pas dans l'invocation morale. La réponse à la question de l'immigration (des réfugiés avant tout) n'a d'autre temps et lieu que la politique depuis son réel de division et sa réalité démocratique.


Cela concerne l’autre et l’hospitalité : l’aporie de l’inconditionnel, avancée par le philosophe Jacques Derrida. L’idée d’une hospitalité inconditionnelle surgit contre les commandements honteux de l’hospitalité conditionnelle (« à condition que l’autre observe nos règles, nos normes de vie, voire notre langue, notre culture, notre système politique, etc. »). A cette hospitalité d’invitation (je vous invite si vous abandonnez vos façons de vivre au profit des miennes), Derrida oppose celle de visitation (venez quand vous voulez, mon accueil vous est acquis). Mais ces mots sont équivoques (un droit de visite permanente est aussi inconcevable que pour l'autre l’attente de mon invitation selon mes règles absolues). D'où vient l'impasse ? Toujours d’une croyance en la valeur et qui plus est « transcendante », celle de l'Autre aussi absurdement idéalisé que le Moi. L’idéalisme surgit de l’expression « tout autre ». Dois-je accueillir "tour autre"? En quel sens ? Tout autre, n’importe quel autre, n’est jamais un « tout autre », un absolument autre. Lequel ne peut renvoyer qu’à la théologique du Tout Autre divin et/ou signifier une altérité tellement inimaginable qu’elle devient impartageable. Lors de l’événement de la venue d’un autre – réfugié, immigré… –, il ne s’agit pas d’exiger son « adaptation » à « ma culture », pas plus que son inconditionnelle « hospitalisation » (s’il faut user de ce lexique remarquons qu’un autre, tout comme moi-même, est hospitalisé/hospitalisant dès qu’il participe à la vacillante socialité : disons mieux socialisé/socialisant). De quoi s’agit-il dès lors ? D’exigence démocratique radicale. Le Tout Autre (même si Derrida ne l’écrit pas avec ces majuscules) annihile la possibilité démocratique qui ouvre le temps du partage de la parole à la base du partage de l’action. Et telle apparaît l’unique condition en réponse à la demande d’accueil ou d'abord de refuge : le partage, non des mœurs et des valeurs, mais des débats et des activités dans la division reconnue du réel de la société et de la socialité, une division toujours remise en question et en jeu pour la relation – la démocratie. Autrement dit, l’égaliberté partagée des uns et des autres qui ne sont jamais des tout à fait autres. Dans cette réalité, la tolérance n’est plus un concept charitable, mais, irrémédiablement provisoire, une pratique historique-politique des différences, irréductibles mais non incommensurables, perpétuellement à réajuster.

La justice pensée depuis l’ajustement (depuis le monde toujours « out of joint » pointé chez Shakespeare par Derrida) du monde désajusté n’a pas d’autre exigence pour orienter l’action politique qui n’a pas besoin d’« éthique ».

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