L'EXCEPTION JUIVE ET L'INJUSTICE AUX PALESTINIENS
À mon ami B.R.
La reprise récente de la récurrente intervention militaire d'Israël à Gaza doit-elle être éclairée pour la xième fois[1]? Nécessite-t-elle encore et toujours le rappel de la solution de deux Etats, un israélien et un palestinien, en dépit de son impasse ? Gardons au moins à l'esprit dans le maintien des deux perspectives, l’israélienne et la palestinienne, ce qu'il y a d'incontournable et qui justifie cette solution devenue improbable et cependant indispensable.
D'une part, l'existence de l'Etat d'Israël – lié à ce qu'il faut bien nommer l’existence toujours menacée des Juifs dans le monde, avec ce supplément qu'elle doit être préservée par le maintien d'un Etat national – ne se comprend que du fait de l'exception juive. Que signifie cette expression ? Elle ne renvoie en rien à l'idée religieuse d'un peuple élu, a fortiori d'un peuple supérieur ; elle renvoie à l'antisémitisme historique occidental lequel a culminé avec la Shoah (par balles et par gaz) et est en passe de s'étendre au monde entier lorsque se trouve invoqué l'antisionisme pour masquer l'antisémitisme. Tous les mots sont ici pesés. Certes les deux mots - antisionisme et antisémitisme - ne se recouvrent pas complètement : si l'antisionisme signifie l'opposition à la politique de tel ou tel gouvernement d'Israël, il peut différer de l'antisémitisme, mais s'il signifie l'opposition à l'existence de l'Etat d'Israël, même sous prétexte d’un Etat binational, il ne fait aucun doute qu'il participe à l'antisémitisme. Faut-il le rappeler ? Des persécutions aux pogroms, du génocide nazi à l'idéologie raciste appliquée à la figure de l'Autre incarnée par le Juif depuis des milliers d'années jusqu'à aujourd'hui, l'antisémitisme a fait des Juifs une exception dans le droit à l’existence. En ce sens, n'est pas antisémite celui qui reconnaît l'exception juive[2]. L'existence d'un Etat qui permet à n'importe quel Juif (à n’importe qui fustigé comme tel n'importe où) d'échapper à la haine n'a pas d'autre justification.
D'autre part, l'injustice qui marque la situation imposée aux Palestiniens depuis la naissance de l'Etat d'Israël est tout aussi indubitable. Chassés de leurs terres, sans cesse contrôlés et humiliés policièrement dans leur déplacement, leur territoire réduit à des ilots apparentés aux bantoustans de triste mémoire en Afrique du sud, appauvris et suspendus au bon vouloir des autorités israéliennes, agressés militairement, en riposte ou pas à leurs propres attaques violentes, spoliés du peu de territoire qui leur reste par une colonisation sauvage et politiquement couverte sinon favorisée par les autorités israéliennes, les Palestiniens subissent un sort criant d'injustice. Comment douter que seul un Etat indépendant sur un territoire cohérent puisse mettre fin à cette injustice ?
Reste la question de l’action possible face à cette impasse. Le boycott des produits venus des territoires colonisés est-il efficace pour la cause palestinienne ? La protestation unilatérale de la gauche-pavlov (celle qui réagit au quart de tour vertueux mais purement verbal, le plus souvent en privé, dès qu’il est question de la pauvreté, de l’immigration, de la guerre, etc.) en faveur des Palestiniens ne l’est pas plus. Bien entendu, dans nos pays respectifs, la pression sur nos gouvernements d’une prise de paroles argumentées pour une solution politique est plus que jamais nécessaire : à condition de soutenir les deux perspectives.
[1] Le Monde diplomatique de septembre 2022 lui consacre plusieurs pages riches d’informations, à l’exception de l’article à la une qui accumule les contre-vérités : affirmer qu’il n’y a aucun lien entre antisionisme et antisémitisme ; soustraire toute responsabilité à Yasser Arafat dans l’échec de Camp David ; dénoncer le statut d’Etat nation du peuple juif à l’Etat d’Israël (et omettre de préciser les droits des citoyens palestiniens dans ce même Etat) ; citer d’anciennes allégations de Maxime Rodinson qui passent sous silence la Shoah ; imputer un argument religieux officiel quant à l’existence d’Israël ; arguer d’un soutien déterminant de l’extrême-droite dans la politique internationale, en particulier de soutien par les Etats-Unis… [2] L’exception tient à la constance historique de l’antisémitisme. Il n’en va pas de même pour les Palestiniens (ou les Ouighours, etc.) ce qui n’enlève rien à leur droit à un Etat et à la citoyenneté.
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