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LA DÉMOCRATIE, ENTRE DÉCONSTRUCTION ET RÉPARATION


 

Il semble bien que l’invocation d’une menace d’extrême-droite sur la démocratie ne suffise pas à convaincre les électeurs. Les succès récents des leaders populistes et autoritaires dans des pays dits démocratiques en témoignent, USA en tête. Les motifs de cet échec, de la menace d’un nouveau fascisme qu’il comporte, doivent sans aucun doute être multiples…

 

De façon immédiate, il y a l’économie, les effets de l’inflation après les crises (financière de 2008, du covid en 2020-22, du climat et de l’environnement sans cesse…) et le rejet sur l’immigration des reculs du pouvoir d’achat et de l’emploi… De façon plus générale, il y a la situation de nos sociétés paradoxalement d’émancipation de masse, à la fois égalitaire et libertaire, à la suite de quoi nous devenons des individus isolés repliés, au-delà de leurs besoins, sur leur désir de consommation. En même temps, ce désir est excité et exacerbé par les moyens électroniques où l’IA prend de plus en plus possession de nos mentalités tout en favorisant la richesse spectaculaire de quelques-uns, mais surtout, du fait de l’automatisation et de la robotisation, en menaçant les emplois et en diminuant les salaires, ce qui accentue les préjugés à l’égard des étrangers jusqu’au racisme et au complotisme. A cette lame de fond, la situation paradoxale de l’émancipation massive de l’individu accentue les clivages entre femmes et hommes et entre adultes, vieux et jeunes, sur fond de dépréciation de l’ascenseur social par l’enseignement, sans oublier le clivage entre religieux et non-croyants qui, en Europe, accentue encore celui entre immigrés et citoyens traditionnels ou installés… Sans épuiser l’approche descriptive de nos situations spécifiques, les éléments de ce tableau renvoient enfin, de façon culminante, radicale et décisive, à la perte de repères transcendants (mort de Dieu, déclin de la figure du père et dans la foulée du mâle, dissolution des valeurs…) qui se manifeste dans la crise de la représentation politique au cœur des régimes démocratiques. La boucle semble bouclée, les régimes autoritaires et les leaders populistes sont-ils notre avenir ?

 

Quels que soient les corrections et les compléments que l’on peut apporter à ce tableau, la grande question apparaît bel et bien celle-ci : que faire de ces constats négatifs, pour nous qui restons attachés à la puissance, économique, sociale et culturelle, de l’émancipation démocratique ? Que faire de ces constats de l’impuissance démocratique croissante ?

 

Un mot, un verbe, est apparu récurrent dans les récentes élections américaines, une revendication : to fix it, réparer. Que les citoyen.nes exigent réparation de la dégradation de leur situation, quoi de plus compréhensible. Encore faut-il justement comprendre de quelle réparation s’agit-il, au-delà des seules solutions par le pouvoir d’achat et l’emploi qui seraient invoquées par les traditionnelles politiques de gauche ou de droite, vouées à successivement décevoir et ouvrir la voie au populisme autoritaire. Or comprendre le déclin démocratique pour proposer ses réparations dépend d’une déconstruction du système actuel de la représentation démocratique. Nous suivrons donc deux étapes pour contribuer à la ré-institution de la démocratie : déconstruction et réparation…

 

La déconstruction comme ajustement

 

Mais, premier point, que signifie ce mot : déconstruction ? Nous sommes structurés, de façons plus ou moins déterminées… Mais ces déterminations (en gros : le cerveau (la génétique acquise), la production (la techno-économie imposée) et la grammaire (la culture, apprise à partir de notre éducation sociale, familiale et scolaire…) nous satisfont-elles ? En tout cas, devenir libres et égaux passe non pas par la déstructuration, encore moins pas la destruction, mais par la déconstruction de ces structures, à leur ouverture pour transformation !

 

Et il ne s’agit pas seulement d’une tâche individuelle : la société, notre société a besoin de citoyennes et de citoyens libres et égaux dans la liberté… Voilà pourquoi Jacques Derrida, le philosophe dont le nom est attaché à la déconstruction, a pu dire : la déconstruction, c’est-à-dire la justice. Car ce qui est mal construit, au niveau des relations humaines, signifie qu’elles sont désajustées. Où il faut entendre le mot « juste » : la justice, ce n’est pas un grand mot vide, c’est ce qui cherche à réajuster ce qui est désajusté…Et les mauvais ajustements ou les injustices (les inégalités, les exclusions, les oppressions et les soumissions, les destructions…) dans la société ne manquent pas. Remarquons là-dessus que, rappelant cet horizon de justice dans la déconstruction, nous venons de pratiquer une déconstruction, celle d’une signification endormie de ce mot usé de « justice » que nous avons un petit peu éveillé depuis cet autre mot de la même famille : désajustement. « Il faut entendre, dit Derrida, ce terme de « déconstruction » non pas au sens de dissoudre ou de détruire, mais d’analyser les structures sédimentées qui forment l’élément discursif, la discursivité philosophique dans laquelle nous pensons. Cela passe par la langue, par la culture occidentale, par l’ensemble de ce qui définit notre appartenance à cette histoire de la philosophie » (revue « Commentaires », 2004/4, p.1099). Les  couches sédimentées, les couches de significations des mots dans nos discours portent la trace des désajustements de nos société : d’où la nécessité de les défaire, de les déconstruire pour les réajuster.

 

Ainsi, la déconstruction cherche à reconstruire ce qui est mal construit voire détruit ou à réajuster ce qui est désajusté dans nos mots, nos phrases, nos valeurs et nos institutions… Autrement dit, la déconstruction fait partie de la démocratie, elle y intervient pour la reconstruire. Ce qui rejoint la première exigence de la démocratie : s’instituer constamment, se reconstituer sans relâche. Et pourquoi ? parce que le sens démocratique prend appui sur cette certitude que rien n’est jamais institué une fois pour toutes, qu’il n’y a pas de régime parfait, plus encore que le fantasme de l’unité du peuple et de l’État est totalitaire, à la racine que la société est divisée parce que le demos, le peuple, est divisé. Cela compris, la démocratie apparaît bien en tant que seul régime qui accepte et exige de reconnaître ses divisions et les déstructurations qu’elles provoquent dans le but de se restructurer, de se réajuster, de se réinstituer. Et effectivement, des élections aux réformes en passant par toutes les lois et même par des réformes constitutionnelles, les pays démocratiques ne cessent de se réinstituer…

 

Ainsi, selon une exigence plus large de la justice, de l’ajustement dans la déconstruction, la démocratie apparaît en tant que la seule et unique façon d'agir, à la différence de n’importe quel autre régime, en se remettant en œuvre historiquement. Elle seule prend son départ de la reconnaissance des divisions, de leur mise en débat public et de l’action responsable qui en découle, seule elle accepte de rester ouverte à sa ré-institution perpétuelle, un des motifs pour lequel le pouvoir n’y appartient à personne (Claude Lefort). La démocratie en ce sens est l’exercice indéterminé de la souveraineté qui fait le peuple dans sa division[1], malgré ses divisions.

 

Insistons sur ce qui semble connu, bien connu, trop connu pour être gardé en mémoire ! Ladémocratie (re)commence à chaque manifestation de la division : des tensions et des divisions prégnantes, résurgentes et inéluctables, dans toutes les activités à tous les niveaux, degrés, champs, classes et groupes (fragmentés), sans parler des sujets citoyens, de n’importe quelle ensemble socio-économique et politico-culturel, à commencer par la division entre le gouvernement de l’État et telle ou telle partie de la société civile. Bref la démocratie, en ce sens exigence universelle en dépit de ses formes toujours provisoires, est la seule formation politique qui met en jeu les divisions récurrentes de la société dans la recherche, hors de leur devenir violent, de relations dans ces divisions…

 

La réparation communale

 

Et pourtant, la crise de la représentation politique, avant tout du sentiment de confiance des électeurs envers les élus des partis, favorise la montée en puissance de l’extrême-droite fascisante et même parfois le retour des dérives de l’extrême-gauche. Ce sentiment de perte se donne comme un « ressenti » dont l’invocation devient presque magique, fière ou honteuse et en tout cas imparable, le passe-partout d’une impression ou d’une appréhension opposée aux faits[2], même si les faits n’existent pas sans contexte et sans interprétation. Le « ressenti » alors devient une ressentiment qui rejoint, exemple trop fréquent, les préjugés racistes et  antisémites... Et les partis démocratiques traditionnels n’y opposent que leurs compromis impuissants et décevants.

 

D'où repartir ? De ces divisions et de ces oppressions escamotées. AUTREMENT DIT DES INEGALITES. Sur la boussole de la démocratie, le nord et le sud figurent la tension entre liberté et égalité et l’on peut affirmer qu’est démocrate quiconque possède le sens de cette tension ineffaçable entre liberté et égalité. En l’occurrence, la politique ne peut se limiter à la défense sociétale et même internationale au seul nom de la liberté, elle doit repartir des inégalités pour leurs REPARATIONS, répétons-le, un mot entendu cette année même, après les élections françaises de juillet comme après les élections américaines de novembre, à la suite de bien d’autres usages, du côté de la décolonisation comme du côté de l’art... Or, réparer tient le lien entre liberté et égalité. Il entre pleinement dans cette exigence qui unit dans un même front les retraités miséreux, les infirmières surchargées, les étudiants pauvres, les Ukrainiens bombardés, les civils israéliens et palestiniens massacrés, les transgenres humiliés, les ciblés du racisme et de l'antisémitisme, les femmes violentées, les employés et les ouvriers mis au chômage, les élèves marginalisés à l’école jusqu’à être exclus d’études accessibles, les familles endettées ou à court en fin de mois... Bref les gauches sont défaillantes face aux réparations – or il faut réparer d’urgence !

 

Cependant, du côté des citoyen.ne.s, qu’est-ce qui favorise une telle dégradation de l’action démocratique à laquelle chacun.ne se devrait non seulement de rester attaché.e, mais de participer ? On l’a décrit en commençant, une soif et, pire, une assuétude consommatrice s’est greffée sur la perversion de l’État Providence en mentalité d’assistanat réduisant les membres de la société en une masse d’individus isolés et d’autant plus passifs. Ce trait rappelle le trait fatal des années trente du XXième siècle, sans pour autant s’appuyer sur les autres traits totalitaires de l’époque, en premier lieu l’idéologie du chef infaillible ainsi que la terreur physique et psychique. De plus, aujourd’hui, dans un reste de démocratie, les valses électorales entraînent tout de même une résistance relative qui casse leur montée en puissance fascinée, tant du moins qu’un état de droit la soutient. Il n’empêche, le sursaut et le renouveau démocratiques ne jailliront que grâce à la transformation des individus consommateurs, produits massifs des publicités et des divertissements, en citoyen.nes. Et la citoyenneté suppose l’action, la prise d’initiative de chacun.e à son niveau d’expérience plurielle – à l’échelle de la commune, du quartier, du métier, de la vie pratique, quels qu’ils soient. Comment la favoriser ?

 

Il y a urgence, car l’impasse contemporaine de l’action politique pour l’émancipation des femmes et des hommes met en question la possibilité du progrès. Certes, des indices opposés, liés aux conquêtes techno-scientifiques et aux développements de certains pays non-occidentaux, se font jour. Mais, pour rappeler et compléter notre tableau initial, la financiarisation de l’économie libérale, la concurrence internationale de la production agricole et de l’industrie automatisées, dans le contexte de la mondialisation,  les impuissances de l’État Providence incapable de répondre aux aspirations des peuples dévoyées et manipulées par l’informatisation, le piège des « guerres » idéologiques, à commencer par le regain du racisme et de l’antisémitisme,  à poursuivre par les pseudos-résistances machistes aux luttes pour la liberté du genre, enfin la stagnation des inégalités internationales… tous ces facteurs, ces faits actifs, contresignent en noir cette impasse dominante et ses menaces de guerres nationalistes et impérialistes en même temps que de régimes fascisants.

 

Face à cela, aucune lutte à reculons, de défense des droits acquis et de politique minimale du compromis programmé, ne suffit, mais une double nécessité de ré-institution se dessine à nouveau. La nécessité d’une renaissance démocratique à partir de la réponse à la question : que dire du réel qui rende possible l’action politique pour un monde vivable et partageable ? Et la nécessité de repartir de la seule expérience qui, malgré les différences de situation et de formation, s’exerce de façon libre et égale pour l’être humain depuis son corps : le langage. Concrètement, pour l’action démocratique : la prise de paroles prise dans l’expérience plurielle de chacun.e. Car nous participons tous à l’une et l’autre de ces expériences, employé d’administration, serveur de restaurant, aide-ménagère, chercheuse en biologie, instituteur, ouvrière, sportive, artiste, chômeur en quête d’emploi…

 

*

Quatre tensions

 

Entre assurer la gestion consommatrice et productrice, y compris dans l’industrie guerrière acculée par la concurrence mondiale et l’agression extérieure, agir, au sens de prendre des initiatives dans la pluralité, a perdu son sens politique. Or l’action ne peut ouvrir à de nouveaux commencements qu’en gardant en vue quatre tensions hors desquelles il n’y a pas de vie politique tenable, pas de sens de la démocratie qui traverse l’usage de ses concepts et de ses valeurs.

 

La tension en division et relation : elle demande de reconnaître et surtout de partir des divisions irréductibles dans la société (hommes/femmes, jeunes/vieux, classes ou groupes, État et société civile, opinions/savoirs/pouvoirs, sentiments et perceptions…) dont la prise en charge rend possible l’association, la collaboration, la solidarité.

 

La tension entre langage et action (réel) : elle prend conscience de l’écart des mots et des choses (pas de « science » sans jugement confronté au contexte, à la réalité socio-historique) et, à partir des discours ou des programmes, l’égalité et la liberté des paroles ainsi que la responsabilité des actes politiques (pas de langage sans action et pas d’action sans langage),  leur solidarité, à défaut de la fraternité.

 

La tension entre liberté et égalité : son aspiration émancipatrice se soutient d’une vigilance face aux échecs du privilège de l’une sur l’autre, l’échec du libéralisme anarchique et l’échec du communisme dictatorialL’unilatérale liberté des libertariens et des néo-libéraux dénie le social et les inégalités économiques, laisse libre cours aux dogmatiques, y compris religieux, abolit les moyens de la solidarité avec l'affaiblissement de l'État. L'unilatérale égalité des communistes et des utopistes bride les initiatives et la dynamique des entreprises, favorise un État bureaucratique sinon dictateur, empêche la liberté d'expression, base de l’action, comme de moeurs...

 

La tension entre légitimité et efficacité : elle est à tenir par le renvoi perpétuel de l’une à l’autre, en particulir contre le populisme sans efficacité et contre le technocratisme sans légitimité, mais déjà contre les dérives « socio-démocrates » de l’assistanat clientéliste ou les dégâts « libéraux » de la course au profit concurretiel...

 

Seule la vie démocratique garde une chance de respecter et de se soucier effectivement de cette quadruple tension. Mais quelles autres formes démocratiques se font jour après ses enlisements divers (pointés par les mots provisoires de ploutocratie financière, particratie électorale, présidentialisme autocratique, technocratie et bureaucratie…) qui ont pour point commun le déni de la responsabilité citoyenne, masqué par la prétention des dirigeants à être seuls responsables ?

 

Quelques inventions démocratiques

 

L’histoire, ancienne et récente, offre des esquisses de solutions alternatives :

-       L’institution démocratique grecque et surtout athénienne : égalité et liberté de paroles et de vote, tirage au sort des responsables, non professionnalisation politique, indemnité de participation citoyenne – sur fond d’éducation culturelle et civique…

-       L’institution de Conseils ou de Communes : système des districts de la Révolution américaine, sections municipales de la Révolution française, expérience de la Commune de Paris, système de soviets de la Révolution russe, revendication d’une chambre économique à côté de la chambre politique de la Révolution hongroise, Commune de Shangai dans la Révolution culturelle chinoise …

A chaque fois sont mis en situation des délégués élus de façon directe par des assemblées spontanées, des assemblées aux membres organisés sans hiérarchie, des délégués aux mandats limités, révocables et responsables… Parfois : un pouvoir économique (de conseils) combiné avec un pouvoir politique (de partis) chargé de la gestion et de l’administration, des pouvoirs symboliques (d’associations) de sportifs ou d’artistes ou de chercheurs ou de n’importe quelle minorité, y compris de genre, y compris de croyances, désignés en réunions aux débats informés, combiné pareillement avec le pouvoir législatif des représentants élus…

-       L’institution des assemblées libres et des occupations de lieux publics : proche des conseils, mais sans leur organisation, elle resurgit sous de nombreuse formes (de Mai 68 aux Gilets Jaunes en passant par Nuits Debouts ou WikiLeaks et Anonymous…), de façon spontanée ou individuelle, à l’écart des organisations politiques traditionnelles, souvent rattachées au souci du care, mais de façon éphémère…

 

Ces esquisses de solution convergent toutes vers un objectif décisif :  redonner le pouvoir aux initiatives citoyennes. Mais lequel ? Sous quelle forme démocratique, compte tenu du grand nombre et de la tentation de passivité, voire de l’objection de la non-responsabilité (les délégués provisoires ne rendent pas de compte sous forme de verdict électoral) ?

 

Des tensions aux alternances

 

Comment traduire les tensions politiques en orientations démocratiques ? Comment proposer des actions sans occulter le réel des divisions sociales et individuelles ? L’exigence d’alternances semble bien découvrir des moyens de répondre…

 

Au-delà de l’alternance électorale et gouvernementale, sans pour autant la supprimer, apparaissent en effet des possibilités de refonder la démocratie par la mise en jeu des divisions réelles dans des alternances institutionnelles qui se manifestent sous diverses formes :

-       alternances économiques et écologiques : équilibre budgétaire interne et unification des taxations financières internationales, transformation écologique (protection environnementale, énergies renouvelables) et recherches technologiques-industrielles (numérisation, robotisation…), aide aux entreprises et relance de la consommation par l’augmentation des revenus (alternance de l’offre et de la demande), ceci aussi en alternance avec le souci de santé…

-       alternances politiques : reddition de comptes et limitation des mandats (alternance vie politique et vie civile), tirages au sort et élections (alternance Assemblée délibérative tirée au sort qui informe et contrôle et Assemblée législative élue qui vote et décide – expérience déjà préparée par des initiatives locales)…

-       alternance d’égalité et de liberté : face aux menaces croissantes de pertes d’emplois dues à la nouvelle révolution industrielle, informatique et robotique, par un nouveau rapport au travail, favorisé par l’allocation de base (Revenu de Base Inconditionnel), ajustée progressivement (y compris entre pays de même niveau) aux mesures de sécurité sociale établies …

-       alternances « culturelles » et éthiques : émancipation des êtres humains (sujets et citoyen.ne.s) dans l’alternance, d’une part, de la production économique et de la reproduction biologique (l’utile, la politique restreinte, dite du care) et, d’autre part, de ce qui favorise  la dépense (l’ « inutile » d’une existence libre et égale, spécifiquement humaine) : par le jeu, le rire, la fête, l’érotismes, l’étude, la recherche, la connaissance, la philosophie, le « sacré », les arts, le sport, le « privé », la « vacance »… ; concrètement, formation permanente (alternance de l’éducation aux savoirs, aux techniques et aux pratiques, y compris artisanales et sportives, comme aux valeurs jointes à leur mise en question philosophique, dans l’alternance du temps de formation, du temps « perdu » de loisir ou d’invention et du temps de travail, tout au long d’une existence)…

-       alternance nationale-régionale et internationale : aides aux développements des régions en déclin et aux pays pauvres (directes, entre États, depuis les organisations internationales, et indirectes, via les ONG), protection policière interne et intervention politique externe (non-guerrière, sauf en cas d’aide aux populations demandée et programmée politiquement par celles-ci)

 

L’équivalence générale de l’argent qui mesure toute chose sur fond d’envie généralisée de consommation sans limite barre l’accès à l’émancipation des êtres humains. Celle-ci ne se comprend que depuis les exigences des corps qui ne sont ni seulement biologiques, ni seulement économiques, mais sont des corps humains, des corps de parlants émancipés pour exprimer de façon de plus en plus libre et égale leurs potentialités. Y a-t-il une autre mesure du progrès démocratique que l’accroissement de ces potentialités créatrices ? Le bonheur individuel n’est pas le but de la politique, du moins sous la forme d’un « changer l’homme » (en fonction d’un « modèle » racial, religieux, économique…). Ses objectifs visent à changer le monde, les choses qui organisent au mieux ce qui se trouve entre nous (Hannah Arendt), tout ce qui, de la santé à la sécurité, de l’habitat à la formation, sert l’émancipation de chaque corps humain, un corps que nous vivons en commun sur la terre, notre seul fond en partage universel.

 

Un pacte social toujours renouvelé

 

Nous avons besoin d’un nouveau pacte social depuis l’approfondissement et la concrétisation d’un humanisme élargi, basé sur le principe du corps humain élevé de façon certes techno-économique, mais principalement culturelle au sens le plus ouvert et même indéterminé du mot. Et ce pacte progressif ne peut se construire que dans les progressions démocratiques à venir, à commencer par celle des prises de paroles.

 

Pour ce faire, la première mesure, la plus urgente sera, fût-ce de façon provisoire et partielle, de donner, aux côtés des représentants des partis, au sein du Parlement, une forme constitutionnelle et un pouvoir, plus que consultatif, légiférant aux délégués issus d’initiatives de conseils ou d’assemblées ou de communes. Il ne s’agit pas de donner le pouvoir à des irresponsables, argument usé des politiciens traditionnels, il  s’agit de donner voix aux exclus, aux isolés, aux négligés de la vie démocratique actuelle, de ses crises, de ses déceptions et de ses trahisons, à droite comme à gauche.

 

*

 

Récapitulons. À la montée dans le monde des régimes autoritaires, nationalistes et souvent religieux, correspond le déclin en Europe des régimes démocratiques, marqué par les succès de l’extrême-droite. Ces deux constats sont sans doute liés, mais, ce qui apparaît flagrant, c’est que les défaillances démocratiques, dans la plupart des pays européens, appellent les citoyen.ne.s à la lucidité sur le diagnostic et les remèdes. Ces mots sont empruntés à la médecine, ils mettent le doigt sur notre maladie démocratique (et républicaine ou monarchique constitutionnelle).

 

Quels sont les symptômes de cette maladie, bien plus grave qu’une crise (la démocratie vit de crise en crise, elle se réinvente en les affrontant) ? D'où repartir pour les déceler ? De ce qui alimente l’anti-démocratie, l’indifférence aux droits humains, l’oubli des valeurs républicaines de liberté, égalité et fraternité ou au moins de solidarité, la tentation autoritaire, depuis les divisions et les oppressions méprisées et escamotées.

 

Ne l’oublions pas : avec le racisme et l’antisémitisme, la soi-disant menace de l’immigration, l’idéologie du grand remplacement, l’extrême-droite substitue une fausse division aux inégalités réelles. Elle joue du « ressenti » d’inégalité, d’exclusion, d’abandon, de négligence, d’indifférence et de mépris, elle les agite et elle en joue pour le transformer en ressentiment généralisé pour les politiciens établis (jusqu’au dégagisme). Et ce « ressenti » est bien figuré par des candidats « comme tout le monde », loin des prétentions à la compétence élitiste… Ce tour de passe-passe, substituer aux problèmes réels une cause imaginaire, installe son idéologie, l’idéologie extrémiste et ses exclusions antidémocratiques.

 

Face à cela, un front populaire démocratique doit donner la parole pour l'action à tous les citoyen.nes. Et comment sinon en rassemblant ceux qui expriment les besoins de réparation et les désirs de mieux vivre. Ce que ne font plus ou si peu les partis. Mais ce qui se fait dans l’urgence d’une protestation et ses formes premières de rassemblement que sont les réunions, les meetings, les manifestations, les occupations, mais surtout leurs formes organisées en conseils ou en communes. Ces formes de base mettent en jeu des dialogues libres entre égaux, une forme de démocratie directe liée à un enjeu crucial. Et celle-ci se régule, au-delà de l’expression de divergences et de la correction des ignorances (y compris dans l’écoute de savants ou d’experts) par l’élection ou la désignation de délégués, provisoires et récusables, chargés de porter les propositions du groupe assemblé.

 

Par rapport aux systèmes démocratiques habituels, basés sur l’élection de représentants de partis, ces délégués ne doivent pas être enfermés dans des assemblées parallèles consultatives, mais être intégrés dans les Parlements avec voix législatives. Ces indications ne sont volontairement  pas précises, elles esquissent les possibles conditions d’expériences qui les mettront à l’épreuve pour les développer. Une assemblée de Communes de délégués limités (aux objectifs fixés), provisoires et révocables pourra-t-elle un jour assumer les responsabilités d’un Parlement, voire d’un gouvernement de type étatique comme actuellement ? Répondre par oui ou par non avant toute expérimentation progressive serait dogmatique et précipiterait le déclin démocratique actuel. Personne ne détient la formule de l’action libre et égale, ajustée en commun.

 

E.C.

 

 

 

 

 


[1] Révélation remarquable due à Michel Deguy  : ce n’est pas le peuple qui fait la démocratie, mais la démocratie qui fait le peuple. Variation : ce n'est pas le peuple divisé qui fait la démocratie, mais la mise en jeu démocratique des divisions qui fait un peuple toujours en formation, en relations renouvelées.

[2] L’immigration massive, le grand remplacement, l’insécurité en hausse, la violence quotidienne : autant de « ressentis » contredits au moins au plan des statistiques… Un seul exemple pour introduire à toute discussion et encore plus à tout jugement hâtif, selon l’INSSE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques), en 2022, 10,3% de la population française est d’origine immigrée dont 35% ont acquis la nationalité française.

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